8 oct. 2008

Ligne 3

Il se faufile entre les portes alors que retentit la sirène de départ, froide comme un cor de chasse, broyant consciencieusement les tympans des usagers.

Allez, encore un qui va nous brailler sa prétendue misère, tenter de faire pleurer sous les écouteurs pour nous taper une clope, un pièce, voire même – j’en ai vu, les prétentieux – un ticket restau

Lui, je le sens bien – pause

Il va brailler tellement fort que je ne pourrai même pas continuer de lire sans rien n’y comprendre

Bon orateur, le type

Bizarre, il parle bien. Etonnament bien si l’on en juge par son look. Comment peut-on s’infliger ça de son plein gré ? Des bouts de bois et de métal pauvre dans tout ce qui dépasse : oreilles, nez, lèvres, sourcils. Et encore, pour ce qu’on voit

Jolies pompes. Le reste des sapes n’est pas mal non plus, remarque. Ça me rappelle ma seconde, l’époque bénie des pantalons baggy, chaussures de skate et sweat à capuche avec le nom d’un obscur groupe de ska-ponque écrit dans le dos

Il est propre, pas si mal habillé – enfin selon leurs canons s’entend -, et il met des propositions subordonnées conjonctives dans ses phrases… Un branleur de plus qui passe soirées et week-ends à faire la manche à Bastille pour s’acheter sa bière, ses clopes et le reste ; et quand c’est vraiment la dèche, il rentre chez papa-maman dans le 15e, ses parents qui s’efforcent de lui passer un soufflon, s’évertuent à le convaincre de bosser un tant soi peu ou d’au moins finir sa licence, mais ploient finalement sous l’ampleur de la tâche et l’incommensurable inertie de leur fils

Soit il s’est fait débarquer il y a peu, soit il est vraiment bon. Discours pesé, intelligent, ce qu’il faut de démagogie pour le public ambiant, sans pour autant susciter la commisération ou l’apathie. Bref, il sait s’y prendre. J’ai de la thune au fait, moi ?

Bon il parle bien mais il ne dit que des conneries. Comment avoir la moindre once d’empathie pour ces mecs ? Il va récolter 20 pauvres centimes, tant pis, peut-être qu’à force il va se lasser, et qu’il finira par aller bosser chez McDo, en se disant qu’il aurait mieux fait de les finir, ces études à la con

Il est à l’autre bout du wagon et c’est l’heure du bilan. Belle entame, une malboro rouge. Pas chassé pour saisir quelques pièces d’or nordique, grâcieux étirement pour faire siennes deux bicolores. Du grand art. Une jeune cadre dynamique sort un ticket restau. Pratiquement du jamais vu

Merde mais c’est qu’il ramasse le branleur

Du coup j’hésite…Bah arrête de penser


Il se faufile entre les portes alors que retentit la sirène de départ, chaude comme une corne de brume, enjoignant gaiement les passagers au voyage.

Croisement des regards.
Jeune con

Vieux con

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Très bien écrit, très bien décrit. Mais je te trouve un peu dur : peut être s'est-il engueulé avec sa mère, ou son père (voir les deux) sur des problématiques bien réelles (telle une destination de vacances ou bien la couleur de leur dernière voiture). Alors il se venge en adoptant ce comportement si tangent...
Ah, tu n'as pas pensé à ces crises familiales tellement dévastatrices pour ces jeunes en mal de reconnaissance ?