5 sept. 2008

Le billet auquel vous avez failli échapper

Vous connaissez certainement la page 16 de Charlie Hebdo, celle qui recense « Les couvertures auxquelles vous avez échappé », parmi lesquelles se trouvent généralement les meilleurs dessins du canard – j'ai un faible pour Luz’ et Jul, qui mêlent finesse et humour brutasse comme personne, sans oublier Riad Sattouf, qui nous met chaque semaine des petites merveilles en page 2. Mais trêve de considérations dessinatoires, d’autant que je n’entrave à peu près rien à l’art en question.

Ce qui m’amène à vous délecter une fois de plus de ma modeste prose est cette colonne, sorte de « minimare », que l’on trouve au milieu de cette fameuse page 16, et où s’enchaînent des vannes calées sur le même ton que les dessins jouxtant. J’avais lu, mais ne sais plus où (la seule source cybernétique que je retrouve ne me satisfaisant qu’à moitié, je vais prendre des pincettes, voire des grosses pinces) que ces brèves sont rédigées par le directeur de la rédaction himself, le sieur Val. Je ne m’attarde pas sur le bonhomme, à chacun d’en penser ce qu’il veut.

Cette semaine pourtant, la cinquième brève m’accroche l’œil. Sous l’intitulé « Déprime », on lit « 25% des femmes ont tenté de se suicider au Groënland. Il faut dire que pendant six mois de l’année, impossible de faire les soldes, les magasins sont fermés ».
Légère contraction zygomaticale, mais le diaphragme reste coi. Pas hyper marrant.

Mais c’est en fait et surtout bien plus que cela. Il s’agit d’une vanne qui utilise the gros poncif bien éculé sur les femmes. Bon, en toute franchise (mais comment pourrait-il en être autrement) et en temps normal, ce type d’humour, bien manipulé, je suis preneur.

Après – ou avant, d’ailleurs – tout, la qualité de l’humour résulte en grande partie de l’intention qui le motive. Une blague sur les Juifs par Le Pen, on rigole pas. Une blague sur les Juifs par Desproges, on rigole.
Et une blague sur les femmes par Val, on rigole ou pas ? Oui, si elle est bonne – je n’imagine pas le bonhomme misogyne.

Mais on s'interroge, quand même – on y vient –, surtout lorsqu’il écrit, quelques semaines auparavant, dans un édito consacré au Sinégate :

En ce qui me concerne, la liberté d’expression est au service de la liberté tout court. À l’« époque bénie » de la jeunesse de Siné où l’on pouvait tout dire, c’est-à-dire il y a une quarantaine d’années, on avait la liberté de proférer des insultes machistes, antisémites et homophobes. Quelle belle liberté ! À la même époque, ce qui se pratiquait en paroles se pratiquait aussi en actes. Les femmes n’avaient droit ni à la contraception ni à l’avortement, les homosexuels se faisaient casser la gueule par des brutes toujours impunies, et de nombreux Juifs cachaient qu’ils l’étaient pour échapper aux préjugés racistes. C’est-à-dire qu’à la liberté de quelques grandes gueules à éructer leur haine correspondait l’aliénation de la moitié de la population, les femmes, à quoi s’ajoutaient l’aliénation des Juifs, des homosexuels et des Arabes, qui subissaient sans protections légales toutes les rancœurs liées à la décolonisation et à l’immigration. Qu’est-ce donc que cette liberté paradoxale dont le prix est l’absence de liberté des autres ?

(texte intégral que je n'ai retrouvé qu'ici).


Effectivement, auparavant fut un temps jadis où dans le passé on avait effectivement la liberté de proférer un sacré paquet d’inepties et de saloperies. Mais on avait aussi le droit d’en rigoler. Une fois encore, pour moi, c’est l’intention qui compte.
Quand Val – si c’est bien Val – écrit que les femmes tentent de se suicider parce qu’elles ne peuvent faire les soldes, je trouve la blague moyenne mais je ne lui fait pas de procès en misogynie.

PS : Ces quelques lignes ont été rédigées hier soir. Ce matin (lien pas encore disponible) le chroniqueur que le susnommé devient sur France Inter tous les vendredis pourfend internet, cause de :
- La désinformation du citoyen
- La mise à sac de la vie privée
- La fin du journalisme de qualité
- La mort du petit cheval

On dirait du Nadine Morano. Mais franchement, quand le petit Louis est retrouvé mort à 20h sur TF1, quand Pascal Sevran décède prématurément, ou quand le Monde nous balance des photos légèrement postdatées, c’est la faute de mon blog ?

Je vous conseille Narvic sur la question.

Aucun commentaire: